Avant de reprendre le cours de mon récit, je vous propose ici le point de vue de mon compagnon sur notre parcours. En effet, si l’expérience est commune, la façon de la vivre est souvent bien différente ce qui peut créer de nombreuses tensions et parfois la rupture du couple.
C’est après deux ans d’essais infructueux que ma compagne et moi avons décidé de nous lancer dans l’aventure de la PMA. A l’époque je n’ai pas hésité une seconde, il me paraissait évident que si nous n’y parvenions pas naturellement, la science pourrait s’en charger. Ce n’est qu’après l’échec de cette première tentative que j’ai questionné ce choix dont je n’avais pas vraiment mesuré les conséquences, tant il a bousculé mon couple et mes convictions. Le désir d’enfant est souvent si fort qu’il justifie tous les sacrifices et lorsque la PMA réussit, on ne regrette évidemment pas d’être passé par là.
En revanche, lorsqu’on essuie un revers, il faut affronter ses désillusions et les questions existentielles qui en découlent. Si mon témoignage peut servir à d’autres, j’en serais ravi.
Disons-le d’emblée, le prix à payer de l’infertilité au féminin me semble bien plus conséquent que lorsqu’elle se conjugue au masculin car elle revêt une dimension biologique et charnelle dont les hommes sont exempts. En effet, la PMA et en particulier la FIV reste une opération extrêmement intrusive et contraignante pour les femmes, elles en portent l’essentiel de la charge physique, mentale et émotionnelle. Moi qui ne suis jamais malade et n’ai pas vu de médecin depuis 15 ans, je n’aurais certainement pas eu le courage de supporter tout ce que ma compagne a enduré. Ce décalage dans le couple est à prendre compte, d’autant qu’en ce qui me concerne il s’est encore accentué comme je vais vous l’expliquer.
Face aux contraintes que devait subir ma compagne – fréquents rendez-vous, injections, opérations, … – je me suis vite senti démunis car il m’était impossible de l’en soulager. Ce n’est qu’avec le recul de l’expérience que j’ai compris que pour combler ce décalage, il m’aurait suffi de suivre son cycle d’aussi près qu’elle afin qu’elle se sente davantage accompagnée à chaque étape de la PMA et qu’elle n’ait pas l’impression de tout gérer, de tout porter seule.
Je dois dire aussi que face à l’absence de diagnostic médical, j’ai ressenti beaucoup de découragement. Connaître les causes de notre infertilité nous aurait projeté vers un but à atteindre et cela m’aurait certainement mis en mouvement. A défaut, le champ des possibles me paraissait si vaste que je suis devenu un peu fataliste. Tâtonner « au petit bonheur la chance » me semblait une pure perte de temps et d’énergie pour des résultats plus qu’incertains. Sans que cela soit intentionnel, je me suis donc mis dans une posture passive, au contraire de ma femme qui s’est mise en mouvement en tentant quantité d’expériences : hypnose, acupuncture, shiatsu, magnétisme, chamanisme, etc. creusant ainsi davantage notre décalage.
Par ailleurs, pour me protéger de l’échec et ne pas trop risquer d’en souffrir, je n’ai pas voulu m’accrocher à ce projet d’enfant de manière obsessionnelle, j’ai préféré continuer à vivre comme avant.
Ce détachement pouvait laisser croire à un manque d’implication de ma part, ce qui n’était pas le cas car j’y ai beaucoup cru, j’ai seulement essayé (vainement) de me protéger en n’y mettant pas trop d’affects. Ma compagne au contraire, s’y est lancée corps et âme en mettant tous ses projets personnels en stand-by. Tous ces éléments conjugués ont certainement contribué à ce que notre couple avance à deux vitesses.
J’ai vécu l’échec de notre FIV comme une perte de temps et d’énergie considérable, et je ne parle pas des dépenses, qui rappelons-le en Suisse approchent les CHF 10’000.- (non remboursé par les assurances).
J’y ai également perdu mes illusions : croire à la toute puissance de la médecine ou me persuader qu’avoir des enfants est chose simple et rapide.
A l’époque, j’ai ressenti un rejet viscéral de cette science ultra sophistiquée et onéreuse et je reste encore aujourd’hui très critique. D’une part, parce que nous avons eu à faire à un médecin orgueilleux, certes compétent mais davantage porté sur la technique que sur les rapports humains. Nous ne nous sommes pas sentis soutenus, ni considérés dans la singularité de notre situation. Je ne saurai vous conseiller de choisir minutieusement votre médecin. D’autre part, je me suis donné l’impression d’être un enfant gâté qui ne supporte pas qu’on lui dise non et qui espère, grâce à la science, contrer le destin, aller à l’encontre de la nature. Nous vivons une époque où tous nos désirs se doivent d’être satisfaits, si possible tout de suite et sans efforts. Pendant des siècles les couples infertiles n’avaient d’autres choix que d’accepter la réalité et je me demande dans quelle mesure cela n’était pas aussi une épreuve bénéfique. Philosophiquement parlant, admettre ce qui est plutôt que de nager à contre-courant au prix d’une énergie conséquente me paraît une bonne façon de se délivrer de ses frustrations et de vivre heureux. Tout est si bien résumé dans cette citation d’Epictète : « N’attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites, décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureux ». Je ne dis pas qu’il faut renoncer à ses désirs mais que parfois il ne faut pas s’y accrocher coûte que coûte et accepter que nous ne contrôlons pas tout. Il me paraît enfin salutaire, dans ce monde ultra rationnel où science et technique ont pour ambition de tout comprendre et de tout maitriser, de laisser une place aux doutes et aux mystères. Puisse ce témoignage vous éviter de vous mettre trop la pression.
J’aime à penser que l’infertilité est un défi que m’a lancé la vie pour m’inciter au lâcher-prise. Mais si je suis tout à fait honnête avec moi, je dois bien avouer qu’il s’agit aussi en partie d’une excuse qui m’évite d’affronter le challenge de la paternité.
J’oscille donc entre le deuil de mon confort de vie actuel, de ma liberté et le deuil de la vie de famille. Je sais pourtant au fond de moi que l’on peut douter de tout dans la vie mais jamais d’avoir eu des enfants.
C’est une évidence, devenir parent donne un sens à sa vie et une raison d’être à son couple. L’infertilité m’a obligé à chercher ce sens ailleurs. Cela m’a inévitablement confronté à moi-même : qui suis-je ? Qu’est-ce que j’attends de la vie ? Que devient le projet de mon couple sans enfant ? Autant de questions existentielles qu’une vie de famille bien remplie aurait certainement écarté. D’une certaine manière, l’infertilité m’a obligé à me connaître davantage et c’est au travers de cette quête que ma compagne et moi sommes parvenus à trouver une raison d’être ensemble qui ne dépendent pas des enfants ou de tout ce qui est extérieur à nous. Notre couple en est sorti ainsi renforcé. Quant aux nombreuses disciplines qu’elle a expérimenté pour comprendre notre infertilité et apprendre à vivre avec, elles lui ont finalement permis de trouver un ancrage qui lui faisait défaut ainsi qu’une nouvelle voie professionnelle.
Bref, avec le recul je suis maintenant en mesure d’observer ce que cette épreuve nous a permis de gagner et plus seulement ce qui nous manque.
Je crois aussi avoir su me détourner du besoin de me comparer aux autres car il a parfois été difficile de ne pas me considérer comme un vieil adolescent en regard de tous mes amis devenus parents. Il est toutefois difficile d’écarter entièrement cette petite voix intérieure qui me murmure parfois : fort de cette maturité acquise, ne serais-tu pas aujourd’hui encore un meilleur père ?
Aujourd’hui que nous sommes sur le chemin d’une seconde et dernière FIV, les enjeux me paraissent à la fois moins, et plus importants. Moins importants, parce que fort de l’expérience acquise lors de notre première tentative, je reste persuadé que nous serons en mesure de soutenir plus facilement le choc d’un nouvel échec. Plus importants, parce que j’ai bien conscience qu’il s’agit de notre ultime chance.
Pour conclure, je me lance aujourd’hui avec trois mantras en tête: 1) je désire ardemment un enfant 2) je n’ai pas de contrôle sur cela 3) je continuerai à m’élever, quoi qu’il arrive.